Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/90

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ce qui le pénétra tellement de douleur qu’il fut le jour même saisi d’une grosse fièvre qui en peu l’emporta du monde. Elle ne laissa pas d’en avoir un peu de chagrin, mais si peu que deux heures de temps le firent oublier pour jamais. Elle demeura bien quelque temps dans cette manière de vivre médiocre, et sans doute elle y eût passé sa vie si le marquis de Chevreuse[1] n’eût trouvé des charmes en elle. Il la vit la première fois avec cette dame, et, ayant su son extraction, il médita de s’en faire une conquête. Pour cet effet, il l’attaqua par tous les endroits qu’il crut la pouvoir mieux vaincre, mais inutilement : elle étoit avec une personne vertueuse, qui avoit incessamment l’œil sur elle, et qui l’avoit instruite dans la voie d’honneur, si elle y eût voulu rester. M. de Chevreuse, qui avoit vu la cour, ne s’étonnoit pas de ses refus ; il continuoit toujours dans sa poursuite, et ne désespéra point de venir à son but. Un jour que sa dame étoit à recevoir visite, et qu’elle étoit, contre son ordinaire, seule dans la chambre, il l’aborda avec de grandes civilités : « Eh bien, Mademoiselle, lui dit-il, avez-vous juré de m’être toujours cruelle, et ne voulez-vous point correspondre à la plus forte passion du monde ? Je vous aime, Mademoiselle, je vous l’ai dit diverses fois de bouche, et mes yeux vous le disent à tous moments ; cependant vous ne voulez pas me souffrir, et il semble que toute votre tâche n’est qu’à me faire souffrir mille martyres par le mépris que

  1. Nous ne voyons aucun fondement à ce conte ridicule, et il est difficile de dire à laquelle des familles de ce nom appartenoit ce marquis de Chevreuse.