Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/106

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ne peut pas savoir ce qui peut arriver, lui dit la comtesse. — Alors on y pensera, » lui dit le Roi, et en disant cela, il alla joindre la Montespan, qui traversoit la galerie pour entrer dans la chambre de la Reine.

Les dames, et surtout celles qui sont naturellement fières, ne connoissent jamais bien qu’elles aiment un amant que lorsqu’elles croient l’avoir perdu. C’est ce qu’éprouva la comtesse en cette rencontre ; cette fière personne, qui avoit reçu les hommages d’un grand Roi sans en être fort émue, le fut beaucoup plus qu’on ne sauroit dire, quand elle crut que cette conquête lui alloit échapper. Elle commença de sentir le plaisir qu’il y avoit d’être aimée, lorsqu’elle ne l’étoit plus, car elle le croyoit ainsi, et il lui arriva comme à ceux qui ne connoissent le prix de la santé qu’après qu’ils l’ont perdue.

Le Roi, qui lisoit dans le cœur de la comtesse, étoit charmé d’avoir suivi le conseil que son confident lui avoit donné, puisqu’il s’en trouvoit si bien. — « Je vois bien, dit-il à ce duc, quand il se trouva seul avec lui, qu’il en est de l’amour comme de la guerre, et que le plus grand coup d’un habile capitaine est de savoir battre son ennemi en retraite. C’est ce que je fais, cher La Feuillade, à l’endroit de la comtesse, et je vois que j’ai plus avancé mes affaires en trois jours, en tenant cette conduite, que je n’avois fait pendant six mois. — Continuez seulement de cette manière, lui dit cet habile confident ; faites semblant de vous retirer devant cette fière ennemie ; laissez-lui gagner du terrain tant qu’elle voudra, et quand vous