Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/150

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Et, dans le grand désir de revoir ce que j’aime,
Je fais presque des vœux contre la France même.
Mais toi, mon cher amant, ne me déguise rien ;
La guerre te plaît-elle, et t’y trouves-tu bien ?
Défaire un escadron, forcer une muraille,
Prendre une ville, un fort, gagner une bataille,
Cela te charme-t-il ? et ce funeste honneur
Te plait-il aux dépens de tout notre bonheur ?
Aimes-tu les lauriers qui me coûtent des larmes ?
Ce qui fait tous mes maux a-t-il pour toi des charmes ?
Et quand tu fais trembler un peuple malheureux,
Ne te souvient-il pas que je tremble plus qu’eux ?
Que malgré tous les maux que leur fait ton courage,
Je suis plus misérable et perds bien davantage ?
Arrête donc, cruel, il ne t’est pas permis
De me faire du mal plus qu’à tes ennemis.
Hélas ! je le sçay bien, tu n’as plus de tendresse,
Tu ne me connois plus, la gloire est ta maîtresse :
Elle occupe aujourd’hui ma place dans ton cœur
Et je mérite moins qu’un fantôme d’honneur :
Les blessures d’amour te semblent méprisables,
Et celles du Dieu Mars te sont plus agréables.
Autrefois tu jurois qu’il te seroit bien doux
De pouvoir quelque jour mourir à mes genoux.
Mais la guerre en trois mois t’a fait changer de stile ;
Tu ne veux plus mourir qu’aux pieds de quelque ville,
Et le feu de l’amour qui t’a brûlé longtems,
Cède à ce noble feu qui fait les conquérans.
Tu te ris de mes yeux et de leur doux langage,
Et crois qu’être amoureux ce n’est pas être sage.
Ingrat ! seroit-il vrai, ne m’abusé-je point ?
Serois-tu devenu tigre jusqu’à ce point ?
M’aurois-tu violé cette foi tant jurée ?
Ce feu, que je croyois d’éternelle durée,
Seroit-il en trois mois étouffé dans ton sein ?
N’as-tu pu sans le perdre aller jusques au Rhin ?
Je pourrois bien courir sur la terre et sur l’onde,
Et porter mon amour de l’un à l’autre monde,