Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/151

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Sans qu’il se puisse éteindre ou bien qu’il s’altérât ?
Mais ai-je le malheur d’adorer un ingrat ?
Sans doute que tu crois que c’est une bassesse,
Que d’être au Champ de Mars, songer à sa maîtresse,
Et que d’y conserver de l’amour dans le cœur,
Ce n’est pas le moyen d’acquérir de l’honneur :
Ah ! que tu connois mal le chemin de la gloire !
Quoi ? tous les conquérans dont nous parle l’histoire,
Et dont on vante tant le courage et le bras,
Ont-ils cessé d’aimer au milieu des combats ?
Regarde un Alexandre, un César, un Pompée :
Ces grands hommes jamais ont-ils tiré l’épée,
Sans songer qu’il falloit par mille beaux exploits
Mériter la beauté qui leur donnoit des loix ?
Apprens donc que l’amour renverse des murailles,
Ravage des États, remporte des batailles.
Si dans le Champ de Mars tu veux être vainqueur,
Tu te dois efforcer de mériter mon cœur.
C’est l’unique moyen de gagner la victoire,
Que de m’avoir toujours présente en ta mémoire.
Mais pourquoi te donner ces conseils superflus ?
Mon triste cœur me dit que tu ne m’aimes plus,
Qu’en vain de quelque espoir se flatte une insensée,
Que Casal et Namur occupent ta pensée,
Que, fatiguant sans cesse, et la nuit et le jour,
Tu n’as guère de temps pour penser à l’amour ;
Et que, blessé peut-être, et mourant de foiblesse,
Tu n’es point en état d’aimer une maîtresse ;
Que le sang et le meurtre ont changé ton esprit,
Que ton cœur est de fer, que rien ne l’attendrit.
Ah Ciel ! qu’à m’affliger je suis ingénieuse,
A m’entendre, on diroit que je crains d’être heureuse.
Non, toutes ces raisons pour lui ne valent rien ;
Je ne crains point cela d’un cœur comme le tien ;
Et j’ai de ta constance une trop belle idée,
Pour croire que déjà tu m’ayes oubliée.
D’un feu trop violent j’eus soin de t’enflammer,
Pour croire que déjà tu cesses de m’aimer.