Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/302

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Ah ! prudence importune qui ne servez qu’à faire avancer les maux que nous devons avoir ! Si cette cruelle avoit quelque secret de détourner les infortunes qui pendent sur nos têtes, nous devrions la chérir ; mais hélas ! rien n’est si trompeur que son apparence. — Ce que vous dites, Madame, répliqua le Roi, est divinement bien pensé, mais vous m’avouerez qu’il faut obéir à l’Etre indépendant, qui nous a donné la vie et tous les avantages de conduite, de raison et de prudence. — Je le sais, Sire, dit la comtesse ; c’est pourquoi j’envie souvent le sort des choses inanimées, qui durent plus longtemps que nous, et qui ne ressentent point mille remords qui nous rongent nuit et jour, et qui ne sont utiles à rien. — Que diriez-vous donc, Madame, continua le Roi, de ceux qui passent le plus beau de leur âge dans des soins continuels, et qui ne sont quelquefois pas de grand usage ? Nous voyons Platon attaché à chercher des idées ; Epicure attrapant des atômes, pour ensuite les accrocher les uns aux autres et en faire un monde en petit ; Thalès au bord d’une fontaine admirant l’eau comme principe de toutes choses ; Socrate n’osant sortir de sa gravité, de crainte de ne passer plus pour sage ; enfin tous ces grands hommes ont pris mille gênes dans la vue de s’immortaliser. — Ah ! Sire, reprit la comtesse, il n’est pas besoin de sortir de notre siècle pour connoître les folies des humains. Ne voyons-nous pas tous les jours parmi nous des généraux, des capitaines qui mettent leur vie au hasard pour une idée de gloire ? — La guerre, Madame, répartit le Roi,