Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/64

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autres à se poster en divers endroits, pour voir passer la bête.

Comme je n’ai pas dessein de décrire cette chasse, je dirai seulement qu’il se fit tant de courses, tant de tours à droite et à gauche dans ces vastes forêts de Fontainebleau, que la plupart de ceux qui formoient cette partie de chasse furent dispersés en divers endroits. Le Roi ne perdoit jamais de vue la comtesse, qu’il regardoit déjà comme sa proie, et le duc de La Feuillade, qui conduisoit toute cette affaire, la fit réussir selon les désirs du Roi. Il le fit avec tant d’adresse, en plaçant les chasseurs dans de certains postes, et les dames en d’autres, sous prétexte de donner à tous le plaisir de cette agréable chasse, que le Roi se trouva, je ne sais comment, tout seul avec la comtesse, dans le lieu le plus écarté du bois, sans qu’elle eût eu le temps de s’apercevoir que ses compagnes l’avoient abandonnée, et que tout le reste de cette illustre troupe couroit, ou plutôt voloit avec une ardeur incroyable.

Qui pourroit décrire son étonnement de se trouver seule avec le Roi dans un lieu désert et solitaire ; ne voyant personne pour venir à son secours, et n’ayant plus ni le son du cor, ni l’aboiement des chiens, ni les cris des chasseurs ? Le lieu où ils se trouvèrent étoit un vallon couvert de deux petites montagnes, ombragé d’un grand nombre d’arbres à haute futaie, au pied desquels couloit un ruisseau, dont le murmure faisoit un bruit agréable. Cette situation fut cause qu’on perdit de vue tous les chasseurs, et qu’on n’entendit plus ce bruit qui accompagne ordinairement la chasse. Enfin il sembloit que Vénus et Diane s’étoient donné le mot pour faire venir en ce lieu nos deux amants.

Toutes choses sembloient conspirer au bonheur du Roi, et il croyoit de toucher à ce moment heureux après lequel il avoit tant soupiré, lorsqu’il remarqua un changement considérable sur le visage de la comtesse. Cette pauvre dame blêmit, trembla, et fut saisie d’une sueur froide, comme si elle alloit rendre l’âme. Le Roi lui demanda si elle se trouvoit mal, et elle lui ayant répondu que non, il comprit d’abord quelle étoit la cause de ce changement. C’étoit