Page:Cérésole - En vue de l’Himalaya.djvu/137

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nous avons déjà été obligés de distribuer une longue bande de terrain empruntée au quartier Est que l’on parlait de rendre, faute d’emploi, à M. R* et que nous n’espérions plus coloniser avant la leçon d’une nouvelle inondation. Ça va, ça va ; en quittant le terrain pour la dernière fois, hier, après avoir absorbé comme une vaste gorgée d’eau fraîche la vue panoramique des différents groupes au travail, je ne me suis plus retourné, sentant qu’à présent l’Éternelle Vie continuait la besogne à coup sûr et sans avoir plus besoin des instruments du début. C’était comme un solennel licenciement par satisfaction intérieure, non pas glorieux précisément, mais quand même avec une belle musique profonde qui me paraissait retentir d’un bout à l’autre de la plaine.

Le dernier beau spectacle, avec les groupes que j’ai décrits, c’était P. très brun, presque noir, avec sa forte moustache, en robe blanche, et nu-tête au milieu d’un groupe de Tchopar, les dominant tous de la tête ; je le voyais avancer sur la grande avenue, examinant la nouvelle bande à entamer vers l’Est, distribuant les parcelles, conseillant pour la terre, pour l’eau, et P. roulait paternellement ses épaules au-dessus de leurs têtes à turbans, en poussant paisiblement ses sandales. Ce groupe me frappait, je ne sais pourquoi, avec une force spéciale, comme une curieuse transposition de la scène si souvent peinte de Jésus dans les champs, au milieu de ses disciples. En ce qui me concerne, j’étais profondément heureux de reprendre, le long du grand champ d’avoine depuis longtemps fauché, le chemin de ma tente, en pensant sans souci et sans scrupule aux remarquables chapitres d’Eddington dans son dernier livre : « The new path of science » sur le déterminisme, et sur la faillite, le naufrage du principe absolu de causalité au cœur même de la physique mathématique : exactement la grande scie que je faisais à mes amis, il