Page:César - Le forgeron de Thalheim, 1885.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

10
LE FORGERON DE THALHEIM

été cruelle, implacable : les fanfares de l’ennemi ont sonné le glas funèbre de l’époux, et le fils, à cette heure néfaste, que la veuve n’a pas oubliée, passait le Rhin, comme prisonnier de l’Allemand.

J’ai connu et je connais encore de braves Alsaciens qui, lorsque le hasard ou l’ennui me conduisent dans la grande plaine, me parlent, la lèvre triste, de ce lugubre événement. Tout un monde d’angoisses se déroule à mes yeux, et il me semble, à les écouter ainsi, moi, hôte de passage, lire au fond de leur âme une douleur qu’on ne dépeint pas. Pour Robert, nature sympathique, bien développée par la lecture et la réflexion, doué d’une intelligence au-dessus de sa condition, il pensait souvent à la patrie perdue ; et, quand le souvenir de la défaite vécue venait le tourmenter, il avait comme une larme dans la voix, et ses regards, aussitôt, s’assombrissaient.

Cependant, à la longue, ces souffrances intimes se calment, leur âpreté mordante s’émousse. Au moment où le lecteur fait connaissance avec notre héros, il n’en causait déjà plus volontiers ; seulement, si on lui adressait cette question : Êtes-vous heureux,