Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/116

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d’aigle, sourcils bien arqués, pommettes saillantes et teint cuivré ; l’expression légèrement douloureuse de sa physionomie semble faire un effort de générosité pour sourire. La carrure de ses épaules, la noblesse de ses attitudes en feraient un bronze antique digne de Phidias. J’aime à me figurer le jeune chef avec tout l’attirail échevelé des anciens guerriers : le diadème à plumes d’aigles, la poitrine tatouée d’hiéroglyphes, le collier de griffes d’ours, les lances, le javelot, le manteau de bison ou d’ours blanc, des scalpes à la ceinture, armé du tomahawk. C’est ainsi que le dut rêver l’imagination de Sarah Bernhardt, lorsqu’elle tenta d’enchaîner à ses pieds le prince détrôné. Mais le descendant des fiers guerriers de jadis ne veut accepter aucune entrave, pas même celle de l’amour.

Jocks est un gentleman dans toute la force du mot : poli, affable, instruit, distingué et très populaire. Sa connaissance du droit en fait l’homme de bons conseils des sauvages à qui il prodigue ses lumières en bon prince.

Le médecin de l’endroit, M. Patton, est un indien, natif des États-Unis.

Le sauvage est hospitalier. Il a de la droiture et de la bonté, mais il faut se garder de ses préjugés et de ses préventions, — monde mystérieux, contre lequel viennent échouer notre prudence et nos prévisions. Chez lui, comme chez nous, le mariage est un marché, seulement il est plus honorable. L’homme ne vend pas sa dignité et sa liberté pour quelques billets de banque, mais il paie de ses deniers la possession de la femme aimée. L’amour joue un rôle secondaire dans la vie d’un indien moderne. Les récits aventureux et poétiques racontés par Chateaubriand sont de jolies fictions qui nous plaisent toujours par la magie du style, mais sont-ils la véritable expression du sentiment calme, mesuré, naturel de ces enfants des bois ? On n’en retrouve nulle trace chez nos indiens,