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BLEU — BLANC — ROUGE

mêlée de fleurs de lys, servant de fond à une famille de castors… J’en passe et des plus bouffonnes. Je trouve ridicule qu’il puisse germer dans le cerveau du plus original de nos faiseurs, de vouloir nous imposer son drapeau, comme s’il s’agissait d’une nouvelle variété de chocolat, à lancer sur le marché. Mais on ne fait pas un drapeau, pas plus qu’on ne se fait un dieu et un culte. Quand les exaltés de la Révolution française voulurent imposer la déesse Raison à l’humanité pensante, l’on préféra la négation absolue à ce grossier pastiche de la divinité. Les vieux temples gothiques avaient de merveilleuses finesses, une majesté de forme où se reflète encore la foi austère qui les fit surgir de la vieille Europe croyante. Les modernes ingénieurs, avec leur savante géométrie et le luxe banal du comfort américain, ont prosaïsé les antiques temples chrétiens. Un drapeau !… Mais ce n’est pas l’œuvre d’un individu, fût-il un Napoléon ! Nous ne sommes pas des iconoclastes, ce que nous saluons dans le tricolore, ce n’est pas un vulgaire chiffon de soie aux trois couleurs, c’est la France elle-même, comme le croyant voit dans la blanche hostie, la chair même de son Sauveur. C’est le corps, le sang, l’âme de la France qui palpitent dans cet oiseau flamme, battant l’air de son aile puissante. Celui qui le nierait mériterait le déshonneur. Toutes les richesses de l’imagination la plus forte en inventions mirobolantes ne peuvent reproduire, après d’innombrables essais, l’œuvre lente des siècles agissant par leurs forces intimes. Les combinaisons les plus heureuses restent aussi impuissantes à reconstruire les œuvres d’instinct que l’art à imiter le travail inconscient de l’araignée qui tisse sa toile. Nous sommes ici à la ligne sacrée où les opinions se séparent, un