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bleu — blanc — rouge

Chaque jour, j’accourais sur la grève pour y rencontrer l’enfant malade, qui s’accrochait au bras de sa mère, traînant d’un air ennuyé une petite voiture avec des poupées et des jouets. Elle se faisait plus pâle, plus diaphane, presque irréelle ; seuls les yeux s’agrandissaient toujours et prenaient une fixité gênante, qui semblait pénétrer la pensée. D’autres enfants accouraient jouer avec elle, attirés par les jouets qu’elle leur abandonnait avec indifférence.

La fillette se faisait envelopper dans un grand châle, tout près de sa mère, et entamait avec elle une de ces conversations d’enfant malade, qui semblent venir d’un rêve lointain, tandis que son œil brillant suivait les cabrioles d’un petit garçon qui jouait au cheval, ou l’essor de la balle qui montait aussi haut que les grands arbres. Ah ! que ne pouvait-elle rire, courir, piailler, ainsi que cette bande d’oiseaux ! Ses lèvres se contractaient à les voir se livrer à ces jeux aériens… La mère inquiète se penchait vers elle, lui demandant à chaque instant :

— Souffres tu ma chérie ?

— Non, mais je suis fatiguée, bien fatiguée……

Et, avec des yeux étranges, ces yeux de malades qui semblent voir dans des mondes mystérieux, elle poursuivait tout haut une songerie depuis longtemps élaborée…

— Les petites filles qui meurent reviennent-elles voir leur maman ?

La mère se leva, comme mue par un ressort, des larmes montaient à ses yeux, mais elle eut le courage de les refouler…

— Pourquoi parler comme ça de mourir, est-ce que tu n’es pas bien avec ta maman ? Tu guériras et ce sera un grand bonheur pour moi ce jour-là.

Mais la petite secouait la tête.