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Le procès Guibord

avec leurs bouquins poudreux, leur arsenal de textes et de syllogismes. Il fallait toute la science du juge Mondelet et son autorité tranchante pour empêcher que les avocats et lui-même fussent pris comme des chats dans le peloton de laine emmêlé de citations de livres saints, des pères de l’Église, des casuistes de tout acabit, dans l’enchevêtrement inextricable des syllogismes de la vieille scolastique. Le magistrat disparaissait presqu’entièrement derrière des piles de gros livres reliés en peau de cochon. Il soufflait un vent de sophisme à faire perdre pied au plus solide. Magistrats, témoins, avocats se mouvaient, se poursuivaient en des cercles vicieux comme des derviches tournants. Un étranger subitement transporté dans cette cour se serait cru le jouet d’une hallucination. N’était-ce pas le marché de Rouen qu’on voyait au loin, et dans l’ombre au fond de la salle, le spectre de l’évêque Cauchon, qui tordait cette fois les os du bras séculier. La victime cette fois ce n’était pas la pucelle Jeanne, mais la province de Québec. Ce reflet rouge dans les carreaux soudés des vieilles maisons, avec leurs pignons en mitres d’évêques, serait-ce la lueur des autodafés, la flamme des bûchers, la crépitement de la pensée et de la chair dans une double torture, sous le tisonnier du bourreau à bonnet pointu de l’inquisition ?

Ce procès clôt une ère qui ne reviendra plus.

Les ultramontains et Mgr  Bourget se posaient sur le terrain d’une indépendance absolue du côté de l’État, comme si les prétentions des conciles et du droit canon pouvaient raisonnablement s’imposer à un gouvernement protestant… Ils eurent le tort de pousser leurs exigences jusqu’au point où elles devenaient incompatibles avec les principes de la constitution et l’esprit du traité de Paris. Le jugement du Conseil privé donna une solution à des questions qui, en s’envenimant auraient pu être cause de guerres civiles. La souveraineté de l’État doit être érigée en principe, mais à deux conditions : c’est que, d’une part, il ne sorte pas du droit commun, et que de l’autre, on ne se mêle pas de questions de doctrine. Dès que l’État fait des lois ecclésiastiques, le gouvernement sort