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Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/21

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Papineau

devenu le chef de la république canadienne que l’opinion ne lui eût demandé aucun compte de sa conduite, pas plus que de sa pensée, mais comme il a échoué, du moins matériellement, dans sa tentative de libération du Canada, la postérité lui a fait son procès. Ceux pour qui il avait combattu par la parole et par la plume l’ont renié, avant que le coq ait chanté trois fois. Non seulement on a mis en doute le patriotisme enflammé du seigneur de Montebello, mais on a traité « d’échauffourée » le dévouement sublime de l’élite qui, sûre de vaincre la tyrannie anglaise, tout en y laissant sa peau, se heurta à une puissance formidable avec la poigne et l’ingénuité du jeune David s’attaquant au massif Goliath. On en est venu à se demander si Papineau n’avait pas fait la révolution pour satisfaire un orgueil luciférien et se mettre à la place du roi fantômatique qui régnait au Canada ?

C’était beaucoup trop accorder au génie d’un homme et pas assez à son caractère. Sans doute, « la tête de Papineau », alors comme aujourd’hui, était légendaire. C’était un orateur émouvant, un torrent déchaîné à ses heures. Son ironie cravachait ceux qui ne partageaient pas son enthousiasme, mais d’autres ont eu le don de la parole autant que lui, sans conserver après que leur vie fut éteinte, le prestige dont jouit encore l’orateur de la Chambre du Bas-Canada.

Au début, sa langue était un peu embarrassée ; sa parole hachée, obscure, se traînait en longueurs ; elle manquait de cette sérénité, de cette transparence qui sont les conditions de l’art pur. Son vocabulaire était incomplet et limité. Cinquante ans de possession anglaise et la brusque interruption de la sève gauloise dans les rameaux de la langue l’avait appauvrie et anémiée. Un artiste peut difficilement rendre son inspiration sur un instrument faussé ou dont une corde est brisée. Mais à mesure que son rêve se précise, ses périodes deviennent plus claires. Dans les moments décisifs, alors qu’il est envoûté par l’idée révolutionnaire, il atteint à des hauteurs vertigineuse d’où il retombera, c’est fatal, quand son exaltation se sera refroidie.