Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
Papineau

On sait la honte qui s’attache au front d’un lâche, et pourtant Papineau jusqu’à sa mort, fut entouré d’une profonde vénération. Le peuple devinait bien les sourdes manœuvres de la politique. Il sentait qu’une bouche d’enfer vomissait des laves et de la cendre sur cette gloire, dont on était jaloux. Ah ! si on avait pu l’engloutir tout entier et ne laisser de lui qu’un peu de fumée que le vent aurait chassée du ciel !

Jamais un doute n’a effleuré notre esprit ; Papineau n’avait pu obéir qu’à des motifs d’un ordre supérieur. L’injonction de Nelson, dépositaire de l’autorité, était pour lui mieux que mots d’évangile. Ce raisonneur ne discuta pas la raison du chef, il se soumit comme tous ceux qui savent commander, avec une belle simplicité d’esprit. Il ne lui vint pas à l’idée qu’on pouvait le trahir, lui ou la révolution : on ne peut pas se tromper avec plus de loyauté et de grandeur.

Nelson fut l’instrument du destin. L’heure de la mort n’était pas arrivée pour Papineau. L’exemple de toute sa vie nous était nécessaire pour qu’il fût proposé comme modèle aux générations futures. Nous devions le voir indéfectible, inébranlable, sous les assauts de la politique et ensuite isolé des partis qu’il avait reniés, pour s’en tenir au nationalisme jusqu’à sa mort sereine et belle comme le soir d’un beau jour.

Nelson avait tort de croire que les Anglais fussent désireux de capturer Papineau. Il se serait jeté entre leurs griffes qu’ils auraient décliné l’honneur de cette conquête trop compromettante. L’histoire ne leur a jamais pardonné l’assassinat de Jeanne d’Arc et la captivité de Napoléon à l’Île Sainte-Hélèné. Volontiers, ils auraient accompagné le chef révolutionnaire jusqu’aux frontières, si Nelson n’eût devancé leur désir.

Les Anglais avaient une double raison de laisser filer Papineau. D’abord, cet exéat était de nature à le couler dans l’esprit des patriotes, s’ils n’avaient été convaincus de l’impeccabilité du grand homme.

Ensuite, ils ne tenaient guère à ce que le sang du juste leur retombât sur la tête. Ils ne voulaient pas creuser l’irréparable