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Mort de Papineau

jusque dans la mort. Il était juste que les cendres du grand homme ne fussent pas mêlées à celles de ces cadavres anonymes avec qui il n’avait rien de commun, pour qu’on puisse un jour les placer dans une urne de vermeil et les déposer sur l’autel de la patrie.

Il y a vingt ans, un groupe de papineaulâtres, dont nous étions, s’étaient rendus en pèlerinage au tombeau du chef révolutionnaire. Si nous n’avons pas gravi à genoux l’allée bordée d’arbres, sorte de scala sancta qui conduit au manoir, recéleur de tant de chers souvenirs, c’est que cette forme humiliée d’adoration aurait déplu à celui dont l’attitude ne fut pas celle des vaincus. Nous étions religieusement émus quand nous pénétrâmes dans cette maison où le grand homme avait vécu les dernières heures de sa vie. Longtemps, nous avons regardé ces choses immobiles dans l’espoir qu’elles se mettraient à raconter le passé. Nous cherchions la grande image dans les glaces embrumées, nous demandions aux échos endormis de nous rendre la sonorité de sa voix, nous regardions les fauteuils creusés à l’endroit où sa tête s’était posée, comme si des irradiations s’en échappaient encore.

Nous avons rendu visite à ses livres qu’il aimait tant, ses amis, ses conseillers, ses consolateurs. Mais l’ombre était venue, sans que nous nous en doutions, quand nous passâmes devant la chapelle solitaire, où Papineau attend que sa voix, devenue la trompette du jugement dernier, fasse lever tous ces gens couchés les mains croisées sur la poitrine. La paix du soir l’enveloppait de sa caressante fraîcheur, et de menues gouttelettes de rosée tombaient du ciel pour bénir cette tombe que le goupillon avait épargnée. Sur les avé d’or des étoiles, de pâles mains fluidiques égrenaient le rosaire et dans le silence plus profond là qu’ailleurs, on entendait comme le bruissement d’invisibles lèvres et l’écoulement d’une incessante prière : la nature est tolérante, elle n’excepte pas de ses rites éternels ceux qui n’ont pas eu la sépulture ecclésiastique…

― C’est triste toute de même que des hommes comme celui-là disparaissent, dit un des pèlerins. Quand il y a tant de morts