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Mœurs et esprit des Canadiens

çais ou d’artistes étrangers. Des amateurs représentèrent des pièces de Molière, à Montréal, dès 1813, et quelques mélodrames. Un des premiers livres imprimés à Montréal, chez Fleury Mesplet, est une comédie qui porte la date de 1776.

On a vanté les mœurs patriarcales de la province de Québec. Les Canadiens-français de ce temps professaient en effet une grande dignité de vie. Ils avaient un principe qui a du bon, en ce sens qu’il ne porte pas scandale : péché caché est à moitié pardonné. S’il leur arrivait de « voisiner », comme ils disaient, ils chaussaient des souliers de chevreuil pour ne pas laisser d’empreintes sur la neige. S’ils eurent des aventures galantes, elles n’ont pas eu de répercussions dans l’histoire. On ne cite pas un crime passionnel dans nos annales judiciaires, sauf les meurtres de jalousie. Si par hasard on savait qu’un homme était trompé par sa femme, malheur à lui s’il était dans la vie publique, on ne se gênait pas de le lui crier sur le husting.

L’esprit ne courait pas les rues seulement, mais les campagnes. Les journaux du temps, l’Aurore, la Bibliothèque Canadienne de Bibaud surtout, sont remplis de mots amusants, d’anecdotes comiques, qui illustrent le tempérament jovial et primesautier des Canadiens-français. Le juge Vallières était un pince-sans-rire. Même sur le banc, il décochait des traits acérés dont riaient jaune ceux à qui ils étaient destinés. Papineau à ses heures était un ironiste cruel. Bibaud avait un rictus qui grimace encore dans son œuvre. Étienne Parent possédait une verve satirique inépuisable. Les Anglo-Saxons, d’esprit positif mais lourd, furent désarçonnés par cette lame fine, brillante, maniée avec légèreté et qui pénétrait à tout coup le défaut de la cuirasse. C’est par leur verbe que nos pères firent la conquête du Canada. Et verbum caro factum est. Ah ! les belles joutes d’alors que Bourassa a fait revivre au parlement d’Ottawa ! Ceux qui l’entendirent, lors de la discussion du budget pour la guerre des Boers, donner la riposte à Laurier et l’écraser du poids de son argumentation serrée, en sont restés éblouis. Que d’étincelles jaillirent dans le croisement de ces armes d’égale force ! C’est vrai que si l’on applaudissait Bou-