Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/178

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Que ferai-je maintenant ? Mes projets sont renversés. Un jour a suffi pour disperser tout ce que je m’étais promis : clientèle, mariage, famille, vie privée et vie publique. Me voici nu, au milieu du monde, comme l’enfant qui naît. Tous mes traveaux sont perdus, toutes mes espérances flétries. Ma vie ressemble à un ver divisé ; le tronçon d’hier ne peut plus se souder avec le tronçon d’aujourd’hui : combien de fois les hommes la diviseront-ils encore ? Allons toujours ; prenons que je voie le jour pour la première fois : l’avenir est immense, le monde est vaste, et j’ai toute ma vie pour les parcourir. Fouette, cocher, tu emportes ma fortune !

Ainsi pensent les jeunes gens. Ne seraient-ils pas plus malheureux si, dès les premières étapes de la vie, ils en prévoyaient toutes les déceptions ?




— Fils de l’homme ! ajoutais-je, que laisses-tu derrière toi ?

Je laisse mon père, plus malheureux que moi-même. Il m’apprit le fier langage de la liberté ; et maintenant il faut qu’il se taise, et qu’il courbe sa tête grise sous un despotisme auquel j’échappe.

Fils de l’homme ! apprends à te détacher de ton père. La langue qu’il t’enseigna fut bonne pour son temps. Désormais, tu dois en parler une autre. Les vieilles convictions sont plus prudentes que les jeunes, et la flamme qui brûle dans un cœur