Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/179

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de cinquante ans vacille comme les dernières lueurs d’un punch.

… Et je me séparai de mon père.

— Fils de la femme ! que laisses-tu derrière toi ?

Je laisse ma mère qui cherche dans quel endroit du monde elle pourra m’envoyer le tribut de ses larmes.

Fils de la femme ! il le faut, détache-toi de ta mère. Désormais, tu n’en auras plus d’autre que la Liberté. La voix de ta mère était caressante, quand elle te berçait, quand elle t’entretenait du bonheur domestique, de la médiocrité paisible, du foyer joyeux ; quand elle se plaisait à faire éclore ta vie sous ses baisers. La 86 voix de la Liberté est rude ; elle a trop d’enfants pour te préférer aux autres. Elle ne te répétera pas, dans ses chants d’amour, que la paix est ton partage, et que le bonheur naîtra sous tes pas. D’une main sèche, elle te montrera le désert de l’exil, les hommes ligués contre ta dignité, les choses conjurées contre ton indépendance.

Marche sans te retourner. Le monde s’étend devant toi ; tu le traverseras seul, et seul tu vivras. Et quand tu auras amassé quelques feuilles sèches pour t’étendre, le pied des hommes dispersera ton lit. Ton existence sera plus tourmentée que celle des sapins qui croissent sur les pics des monts.

Fils de la femme ! n’hésite pas cependant. Dans le cœur de ta mère, l’amour parle plus haut que la dignité. Longtemps sa voix défiera l’oppression