Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/282

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gression… je n’ai pu la laisser au fond de la bouteille à encre.


Je voyagerai. — Et mes voyages me seront profitables, parce que je ne les entreprends pas pour donner le change à mon désœuvrement, mais pour observer les hommes et la marche de la Révolution. Il en est de tout voyage comme du voyage de la vie ; celui-là seul arrive avant le soir qui, dès le point du jour, a su distinguer son but à l’horizon. Il marche droit et vite, tandis que les autres se fatiguent à travers des sentiers inconnus, demandant leur chemin à tous ceux qu’ils rencontrent, et toujours errant à la merci de fausses indications. Les voyages n’instruisent que ceux qui pensent, et l’homme ne se donne la peine de penser que quand une passion le domine au point de vaincre la paresse qui lui est chère. Je ne veux pas tout apprendre, je ne veux pas tout voir, je ne rapporterai pas de mille pays lointains des collections curieuses. L’homme qui veut tout savoir ne saura jamais rien. À courir en avant du jugement, la mémoire ne gagne pas ; elle ressemble à la vigne folle, fatalement inféconde. L’intelligence souffre de la manie de l’érudition, comme les blés du voisinage des grands arbres.


Je voyagerai. — Je suis embrasé de ce premier amour qui cherche par le monde la divinité, femme ou pensée, qui répond à ses rêves. Mon corps est souple ; je n’ai pas à redouter les fatigues de la