Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/494

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dans un corset, et je ne me livrerai pas, victime volontaire, aux mains des tailleurs et aux langues des beaux esprits de salon. Je roulerai seul sur la terre comme une pierre lancée du sommet des monts à la profondeur des gouffres. Le sapin grandit seul sur les pics arides ; seul, l’aigle approche du soleil. Seul, le matelot combat l’orage ; seul, l’émigrant s’avance sous des cieux inconnus. Seul, le chasseur des monts attend l’ourse privée de ses petits. Seuls vont le lion et le tigre ; seul est le taureau dans l’arène espagnole. Tout ce qui est fort n’a pas besoin d’appui. — Au contraire, les timides oiseaux voyageurs se pressent les uns contre 293 les autres pour voler contre le vent ; les brebis se rassemblent d’elles-mêmes ; le bœuf présente sa tête au joug ; on entasse les chapons dans des cages, les porcs sur le fumier, et les princes dans les palais. Les corbeaux ne se réunissent que sur les cadavres, et les hommes de parti, que sur les populations émeutées.

N’est-ce pas contre les chênes les plus forts et les clochers les plus élevés que la foudre conjure ses éclairs ? N’est-ce pas contre le sanglier qui lui tient tête que hurle la meute des chiens ? Moi contre tous, et tous contre moi : Soit ! j’accepte cette lutte et je suis fier de l’entreprendre seul, car je tiens à honneur de n’être pas compté dans le vil troupeau de mes contemporains. Personne ne me reconnaît plus ; ceux qui s’appelaient mes amis se sont retirés de moi. Je n’ai pas un sou, pas un partisan, pas une intelligence qui me soit