Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/108

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lance ses mille expressions sur nous ainsi que des fleurs embaumées.

— Car les locutions vulgaires, triviales même sont précisément les plus expressives, les plus imagées. Dès lors pourquoi m’en priver de gaîté de cœur ? Pourquoi ne pas reprendre la vraie, la bonne tradition, celle de Rabelais, de Molière ? Pourquoi donc irais-je mettre des points, des astérisques afin de faire remarquer davantage aux jeunes personnes bien élevées les termes qui font 53 loucher leurs ombrageuses mamans ? En vérité, j’admire les écrivailleurs actuels. Ils trouvent moyen d’être prudes comme les précieuses ridicules, maladroits comme l’ours du jardinier, peureux comme des lièvres et fades comme des huîtres.

— Car les patois sont pareils aux membres du fœtus encore séparés dans l’utérus de la mère ; ils sont les premiers linéaments du nouvel idiome renfermé dans le sein des nations qui vont se confondre. D’abord ils y demeurent imperceptibles ; puis se développent, se réunissent, s’agglomèrent et forment le langage de la jeune race qui prend possession du globe. — Et Verbum caro factum est[1].

  1. Si vous observez dans ses moindres détails l’organisation des Français, vous y trouverez toujours de nouvelles preuves à l’appui de leur rôle d’unification sociale. Leur merveilleuse aptitude à écorcher les langues, leur ardeur discutante les rendront propres à dénaturer les anciens idiomes, à former, à propager le nouveau.