Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/284

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qu’il va commettre un acte infâme, et qu’il est aussi repoussant que le bourreau.

Voyez plutôt ce front bas et étroit, ces pommettes saillantes, ce crâne déprimé et fuyant en arrière, ces yeux petits, enfoncés dans leurs orbites. Et dites, si dans cette organisation bestiale, il peut y avoir autre chose que la soif du sang, une stupide vanité et des instincts féroces.

L’atroce serment est prêté ; le corregidor l’a reçu, plein de déférence. C’est que l’espada est plus que lui, plus que le roi, que le vrai bourreau, que tout ce qui est respecté sur la terre.

Le matador a rejeté la moña de sa tête. Maintenant il s’avance dans le cirque présentant l’écharpe rouge au taureau plein de rage. L’animal s’élance. Plusieurs fois l’homme évite l’impétuosité de son choc en l’attirant sur la muleta resplendissante. Enfin, profitant du moment où le taureau baisse la tête, il lui traverse la poitrine.

Le coup a bien porté : les organes essentiels à la vie sont atteints ; le sang s’échappe à travers les dents avec des flots d’écume. Le taureau fait encore quelques pas, fléchissant sur ses jarrets comme s’il était ivre. Puis il flaire le sol pour y chercher une place où reposer en paix, pousse un mugissement déchirant, s’écrase sur lui-même et meurt… Le vainqueur essuie son épée.

Hurlez, fanfares ! Qu’on sonne l’hallali ! Gloire au grand Montes ! Pour lui les applaudissements, les cigarres et les fleurs ! Pour lui les sourires des femmes mignonnes ! Longue vie à la longue épée !