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IV


Oh ! que ton empreinte est tenace, Préjugé, vieux bavard, chez ceux-là même qui te défient ! Je n’osais pas faire un pas vers ces têtes de Maures qui resplendissaient au reflet des flammes comme dans le sabbat des enfers.

Je m’approchai cependant de la plus jeune de ces femmes, la vénérée, la prophétesse, la reine, celle dont le pied chaussait la zapatille d’or. Et portant à mes lèvres une tresse de ses cheveux qui traînaient jusqu’à terre :

Gitana, lui dis-je, regarde les lignes de ma main, la racine de mes cheveux, les plis de mon front, mon œil cerné, ma bouche. Applique sur mon cœur ton oreille aux beaux pendants d’or. Et dis-moi. Gitana, ce que je deviendrai.

— « Homme du Nord, répondit-elle, considère le cours du Jarama. Parmi ses flots rapides, il en est qui semblent plus pressés que les autres de courir à la mer : ils s’élancent contre 224 tous les obstacles et s’évaporent en pluie d’écume. Ainsi toi dans la vie.

» Tu t’es trop agité, tu as tendu trop fort les ressorts de ton être, tu romps trop à plaisir les attaches dernières qui te relient au monde. Tu succomberas comme ceux qui rêvent trop, inquiet, fatigué, mécontent de toi-même, tourmenté de désirs et de projets conçus à peine.

» Travaille cependant, travaille ! Les années de