Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/54

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dire lâcheté. Et mesure poétique signifie cheville, triple scie, lime recourbée des dents, vrille ébréchée, lyre ou guitare en pièces, violon sans cordes, guillotine sans graisse, orgue de Barbarie, jeu de patience, vielle à l’usage des souris blanches, des marmottes savantes et des singes polkeurs, balançoire, masturbation de l’entendement, jet continu d’eau tiède…

Aujourd’hui, la rime est plus despote qu’esclave ; elle est mortelle à l’originalité de la pensée, mortelle à l’harmonie ; elle est l’anneau de fer qui en suppose d’autres et rive les plus lourdes chaînes autour de l’intelligence captive. La raison n’a rien qu’à perdre en s’accouplant avec elle.

Tous ces écrivains à la douzaine, qui enfantent dans la douleur des millions de paroles en cadence, ne conçurent jamais une idée.

La littérature française répugne aux vers, le futur socialisme les condamne. Il n’y a pas un poète français, pas un rimeur révolutionnaire. 19 Goëthe et Byron ont tué les menuisiers du style ; ils veulent être suivis dans leur rude chemin.

Moi, je sème en chantant !


Je jette une prophétie contre tous ceux qui martèlent encore leurs fronts pour y trouver des rimes :

La langue française n’a pas encore de poème, pas un chef-d’œuvre d’harmonie littéraire[1]. —

  1. Molière est une des gloires de notre philosophie critique ; pour lui, la versification était chose très accessoire.