Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/122

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famille, moi je pleure et je dis  : C’est le sacrifice d’Iphigénie l’innocente, c’est le festin d’Atrée ! Elle est servie l’horrible table où les convives mangent la chair de leurs enfants, où l’on boit le sang, le crime, le poison, le remords et l’envie dans des coupes vermeilles !

Hélas ! de pareilles familles remplissent ce monde. Pour une qui se donne en scandale, il en est des milliers qui lavent leur linge sale avec leurs pleurs et saignent dans la nuit ! La famille civilisée, vous dis-je, c’est l’antre des discordes, l’accouplement violent et sans remède d’intérêts opposés, de passions éphémères ; c’est l’épine qui enflamme, l’épingle qui déchire, le souffle toujours brûlant sous lequel flambent cupidités, haines et vengeances qui ne pardonnent jamais !

Je pose en axiome que plus les individus sont rapprochés aujourd’hui par les liens du sang, plus ils s’abhorrent et désirent trancher le nœud gordien qui leur meurtrit l’âme !

Si encore les frères ennemis d’à-présent se disputaient des royaumes… ou seulement un plat de lentilles ! Non, ils ne sont pas ambitieux, ils ne sont pas mêmes gourmands… mais ils tueront père et mère pour un monaco !

Ah ! comment la famille civilisée serait-elle heureuse ? Elle prétend réunir ce qui est incompatible : l’amour naturel et l’intérêt privilégié, les droits du monopole et ceux de l’humanité, la passion et le devoir, l’élan et le calcul, le baiser et le chiffre, le sale lopin de terre et la frange irisée du ciel !