Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/171

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à boire et à manger à discrétion, chevaux et voitures, colifichets, toilettes et bonbons. Et son âme de feu, répondrais-je, se repaissait-elle de tout cela. Quel confident, quel ami, quel amant lui restaient, à sa pauvre âme ? Pouvait-elle étreindre la Loi, l’embrasser, lui sourire, s’épancher en elle, lui murmurer d’amour, répéter ses soupirs, boire ses pleurs ?[1]

Ah je comprends que les dames comme il faut, c’est-à-dire sans cœur, sans intelligence, sans tendresse, puissent tenir dans la prison du mariage d’intérêt ! Mais une femme qui, d’un seul baiser, d’un regard, d’une parole, pouvait dévorer l’âme d’un homme, une femme qui n’était que par le cœur, une pareille femme, je le soutiens, était privée de son droit de vivre par son accolement à M. Lafarge.


Qu’on ne vienne pas me chanter la défaite ordinaire du laissez-faire, laissez-marier : « au bout du compte, personne ne la forçait d’épouser M. Lafarge, et dès qu’elle l’avait pris, il fallait le garder. »

Car je répondrais : tout le monde la contraignait à cette alliance. La Civilisation est coupable au premier chef des unions disproportionnées que forcent ses intérêts iniques ; elle en est promo-

  1. La société a remplacé par la Loi la passion, le caprice, l’amour, la vie ! Elle en a fait un être animé et sensible. Ce n’est pas ma faute s’il me faut parler le langage des civilisés.