Page:Cadiot - Minuit.pdf/119

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sa poche, il huma l’air avec une satisfaction jusqu’alors inconnue. Le soleil lui sembla de l’or fluide, l’horizon s’élargit, Paris lui apparut comme transfiguré.

Jamais, auparavant, il n’avait cherché le sens et l’usage des mille choses, que la misère avait placées hors de sa portée. Jamais, même, il n’avait joui de celles qui sont offertes à tout le monde. C’est que, l’appréciation de tous ces bien-être implique une oisiveté relative, ou au moins une certaine liberté, et que le malheureux Naigeot avait passé sa vie à la glèbe d’un travail ingrat et continuel.

Quelque temps qu’il fit, il allait à sa besogne journalière le front courbé et le regard vague, portant sa besace et tirant son licou sous l’incessant coup de fouet de la nécessité, comme le cheval de fiacre sous celui d’un cocher impitoyable. Aussi, n’avait-il même pas admiré les magnifiques ombrages du Jardin-des-PIantes, et les riches collections que l’Europe nous envie. Pour lui, Paris était contenu entre quatre points : la halle aux vins, le boulevard Saint-Denis, la rue Saint-Honoré, où il allait tenir des livres, et la rue Copeau, qui renfermait la pension Buneaud.

Mais ce jour-là, il pensait avoir conquis le monde, et sentait le besoin d’en connaître toutes les richesses. C’est pourquoi, il parcourait la rue Saint-Victor le nez au vent, les mains dans ses poches, le visage épanoui, regardant les boutiques, heurtant les passants de ci et de là, et virvouchant au hasard comme un homme ivre.