Page:Cadiot - Minuit.pdf/121

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Alors, il laissa courir son imagination surexcitée à travers ses nouveaux rêves ; et, tandis qu’il traversait Paris, sans souci d’éviter la crotte ou d’être coudoyé par les passants, il faisait un retour sur les années écoulées et s’apercevait qu’il avait été horriblement malheureux. Il se voyait passer, la veille, avec son air morne, son habit râpé, son parapluie sous le bras, tout son piètre accoutrement de vieux gratte-papier ; et, pour la première fois, il en apercevait la puante hideur. Toute sa vie apparaissait à sa mémoire comme un désespérant mirage. Il demandait compte, à la justice éternelle, de cette constante misère et de cet abrutissant labeur qui avaient fait de lui le vieux cuistre d’hier, que, par instants, le richard d’aujourd’hui prenait plaisir à éclabousser en imagination… Alors, il lui passait parla tête des velléités de révolte et de vengeance. Puis, des rages folles de connaître toutes des joies humaines, qui, pouf lui, avaient été lettres-mortes ; de rattraper quelques jours de cette jeunesse qui avait passé inaperçue entre les quatre panneaux grillagés de sa cage de teneur de livres.

Le coupé s’arrêta rue Laffitte devant les bureaux du célèbre banquier juif.

Naigeot s’éveilla au milieu de ses rêves et attendit que le cocher lui eût ouvert la porte pour descendre. Quand il fut sur le trottoir, il le regarda d’un air incertain, comme pour lui demander ce qu’il devait payer. Mais celui-ci, qui avait mieux compris que sa pratique la convention d’être gardé à l’heure, remonta sur son