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Il quitta la table le dernier et monta se coucher, ivre de toutes les ivresses, fasciné, gorgé, fou, mais demandant encore du luxe et du plaisir. Enfin le sommeil mit un terme à toutes les révoltes de cette jeunesse en retard de trente ans ; Pïaigeot s’endormit et rêva des festins de Sardanapale et des houris de Mahomet.

Le lendemain matin, quand il s’éveilla dans cette chambre si nue, si froide, si peu propice à l’illusion, il crut d’abord rentrer dans la réalité après un songe décevant. Cependant, peu à peu il reprit ses sens et retrouva ses souvenirs sous la forme de mille objets nouveaux, épars çà et là. Il se jeta hors de son lit, saisit son gilet, oublié sur une chaise dans l’abandon de l’ivresse, et en tira fiévreusement les bienheureux billets de banque pour les recompter à son aise. Mais ce fut en vain qu’il recommença deux fois son compte, il n’en trouva plus que neuf ; le dîner, les emplettes et le reste en avaient pris un.

— Hum ! pensa le teneur de livres en faisant un retour sur lui-même, à ce compte-là j’en aurai pour neuf jours… huit, c’est-à-dire, en défalquant ce que j’aurai à payer pour mes commandes…

Naigeot resta un instant rêveur… Puis, tout à coup, il secoua ses préoccupations :

— Eh ! que m’importe ! après tout, se dit-il ; n’ai-je pas en Amérique une fortune toute faite !

Par un singulier phénomène, ses passions, contenues par une misère de cinquante années, s’étaient éveillées