Page:Cadiot - Minuit.pdf/150

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des régions supérieures, le rejetait sans pitié, derrière le grillage qu’il avait fui.

Seulement, elle était venue chercher un pauvre être abruti, oublié des autres, oublieux de lui-même, inoffensif et résigné, et elle rendait un homme enragé d’avoir manqué sa vie, maudissant sou passé, accusant Dieu, et le momie entier de son malheur : un homme altéré des jouissances qu’il a devinées et qu’il ne peut connaître, envieux du bien d’autrui, sans cesse dévoré de désirs insensés, tenté à toute heure… et sans espérance !

Oui ! cet homme chauve et flétri, ce quasi-vieillard, rêve à mille choses impossibles ou criminelles, en taillant sa plume entre les deux vieux commis de son frère. Il parle peu, mais son silence est gros de pensées orageuses, tandis qu’on le croit occupé d’une règle d’escompte, il calcule les chances de mort, ou autres, dont il pourrait attendre une partie de cette fortune immense, qui passe à côté de lui sans s’arrêter ; tandis qu’il fait la balance de la journée, ou qu’il dresse le bilan du mois, son cœur révolté bat de haine contre Charles Moitessier : cet inconnu, cet étranger, bientôt possesseur de la fortune inscrite sur le grand livre des prospérités humaines au nom de Naigeot, et de l’adorable créature qui a réveillé un cœur de vingt ans dans un corps de cinquante.

Car, il faut le dire, depuis que Naigeot a vu Louise si radieuse et si belle, une révolution nouvelle s’est opérée en lui. Toutes ses aspirations trompées se sont réunies