Page:Cadiot - Minuit.pdf/159

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le pain d’un invalide !… Je suis un pion dans un jeu d’échecs, ou un zéro qui n’a point d’autre fonction que de donner une valeur au chiffre qui le précède !… Tous ces gens s’en vont et emportent une fortune. Moitessier m’enlève Louise… On me laisse dans un coin… et, si par hasard, un jour on a besoin de moi, on viendra m’y chercher comme un meuble, comme un vieux portrait de famille, pour m’y renvoyer ensuite !… — Oh ! que je me vengerai ! murmurait-il les dents serrées et les yeux fixes.

Et il ne songeait pas que six mois auparavant cette vie lui aurait semblé le paradis !

Quand le notaire eut écrit tout ce qui lui fut dicté, on servit des rafraîchissements. La conversation continua, mais elle prit un teinte moins sérieuse. Louise vint offrir elle-même un sorbet à son oncle, en lui faisant mille caresses. Elle comprenait qu’entre tous les assistants, il était le moins bien partagé en bonheur. Et comme elle ne pouvait chasser de son visage le sombre reflet de ses pensées, elle ajouta tout bas :

— Nous vous aimerons bien, mon bon oncle ! si vous vous ennuyez ici, vous viendrez à Boston chez nous. — N’est-ce pas, Charles ?

Le jeune homme se joignit avec empressement à sa fiancée pour exprimer sa tendresse à l’oncle déshérité ; mais Naigeot se leva, toujours hors d’état de répondre et suffoqué par les passions les plus violentes. Après