Page:Cadiot - Minuit.pdf/163

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bureau à l’heure accoutumée. Naudin et Ménard remarquèrent, même, que jamais il n’avait paru avoir l’esprit aussi franchement occupé de son travail.

C’est que Naigeot voulait enfin se rendre compte de l’état des affaires, et savoir où en était la liquidation. Pendant plusieurs jours il fit des recherches dans les vieux livres, releva des comptes, fit des balances et des reports avec un acharnement étrange. Personne ne s’en inquiéta, et la veuve de son frère ne parut aucunement changée à son égard.

Le temps passait cependant. L’épidémie avait décimé la ville, et personne n’avait été atteint dans la maison Naigeot. La veuve, les deux commis et le teneur de livres avaient vécu en paix ; faisant leurs comptes et leurs commandes pendant le jour et passant les soirées à se promener sur le port.

Jamais intérieur n’avait été plus calme en apparence, et jamais passions plus violentes n’avaient tant menacé l’avenir.

À voir, d’une part, madame Naigeot aller, venir, dans les magasins, commander, décider toute chose avec ce calme et cette sûreté qui lui étaient ordinaires, ou venir s’asseoir dans son grand fauteuil de cuir auprès des commis, et, de l’autre, ce teneur de livres, courbé sur son bureau, feuilletant ses cahiers, recomptant ses additions ou taillant ses plumes, certes, pas un œil n’eût deviné lequel de ces deux êtres aurait voulu supprimer l’autre au prix de son éternité.