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hommes, et que ma position m’a mis à même de les connaître à fond, de sonder leurs misères, et de contempler en même temps leur faiblesse et leur grandeur, je me suis dit souvent qu’on risquait autant de se tromper par l’excès du mépris que par une confiance trop naïve. C’est une infériorité sociale que d’être trop corrompu.

Je ne pensais pas à des choses si graves durant les silences qui coupaient notre causerie. Mon imagination vagabondait dans les espaces infinis où s’égarent l’espérance, le désir, l’enthousiasme. J’étais amoureux, c’est sûr ; mais cet amour ressemblait bien peu à ce que j’avais ressenti jusque-là. L’idée de posséder la femme qui me charmait ne m’obsédait point, tandis que j’avais une soif inextinguible de la connaître, d’entrer dans son âme, de vivre de sa vie. À mon tour je me mis à interroger.

— « Mais, toi-même, ce soir, que venais-tu faire à l’Opéra ? lui demandai-je. — Tu ne venais point pour danser… »

Je m’arrêtai : le souvenir des railleries d’Alfred passa comme un nuage sur mon ivresse.

— « Il faudrait, dit-elle, t’en raconter bien long, et t’expliquer bien des choses que tu ne comprendrais pas, pour te faire deviner quelle étrange curiosité m’a prise de voir cet emportement du plaisir dont je n’avais point l’idée… — Eh ! que sais-je ? Après tout ! c’était écrit ! »