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Le vague, l’inconnu, cette félicité sans nom à laquelle nous aspirons sans la définir, semblent cachés derrière l’image que nous avons entrevue un instant. Elle a pour elle, cette image, la puissance du Peut-être. Et, lorsque nous appelons le bonheur de tous les cris de notre cœur avide, une voix nous répond, en évoquant le fantôme disparu :

« Qui sait s’il n’était pas là ? »

On se console de la mort d’un excellent ami, et l’on ne se console pas de celle d’un enfant. La blessure que fait au cœur un amour qui se rompt, se cicatrise avec le temps ; mais celle qui provient d’un amour étouffé dans son germe et défendu par l’impossible, comme le paradis terrestre par l’épée de l’ange, se creuse et saigne toujours.

C’est que les ivresses que nous rêvons sont mille fois plus séduisantes que les ivresses de la réalité. Les joies que nous avons goûtées, nous en savons les amertumes aussi bien que les douceurs ; au milieu des plus divins transports, nous avons senti la meurtrissure de la chaîne qui nous rive à la terre et à la douleur.

Les joies entrevues par l’imagination, au contraire, sont sans limites et sans contre-poids. L’âme dégagée de ses liens de chair ne connaît pas de barrière qui l’arrête dans son essor, ni de blessure qui mélange de peine ses plus délicieuses voluptés.