Sedan n’a pas été seulement le Sedan de notre puissance militaire, économique et politique, il a été le Sedan de la culture française, et cela jusque sur le terrain du socialisme, livré désormais à l’hégémonie de la social-demokratie allemande et à l’influence exclusive de Marx. Urbain Gohier, Edmond Picard, Edouard Drumont ont eu raison de le dire dans leurs réponses à l’enquête de la Grande Revue : Proudhon, c’est le socialisme français, c’est la tradition nationale française, c’est le génie français confisqués depuis 1870 par l’hégémonie allemande, en l’espèce l’hégémonie marxiste ; et, par conséquent, une reprise de l’influence proudhonienne ne peut s’interpréter que comme un abaissement de cette hégémonie et le commencement de la revanche.
J’ai dit notre grand philosophe socialiste français. Et je souligne français. Jamais pensée ne fut davantage puisée à la plus pure source française ; il est Français de la tête aux pieds, je dirai même plus, il est Gaulois, de bonne veine gauloise, comme tous nos grands écrivains classiques, les Rabelais, les Molière, les Voltaire ; frondeur, amant de la liberté, ennemi-né de l’autorité, fédéraliste, il a, néanmoins, un si haut sentiment de l’unité et de l’ordre, qu’il n’a donné, dans aucune des nuées romantiques et que Dimier a pu, avec pleine raison, le ranger parmi les classiques. Disciple de Kant et de Hegel ? oh, si peu : voyez avec quel mépris il parle des philosophes allemands : « Se peut-il, s’écrie-t-il quelque part (voir La Justice. t. III, p. 190) de plus grands poltrons que ces philosophes allemands : Fichte est celui de tous qui passe pour avoir le mieux soutenu la liberté, et la philosophie ne doit jamais oublier qu’il est mort pour elle en héros. Du courage devant la mort, cela ne manque pas plus en Allemagne