nesque est pris, sa raison reste libre, il n’est pas dupe de lui-même ; il ne se propose pas en modèle, il n’érige pas, comme le romantique, les moindres élans de sa sensibilité en lois du monde et en révélations de la divinité, il n’a pas cette impudeur, ni cette outrecuidance, ni ce pédantisme, il n’est pas Genevois, il est Français). Rien non plus de cet humour anglais où se traduit l’amer et sarcastique pessimisme d’un moi que le cant d’un moralisme protestant et le spleen d’un pays de brouillards et d’une société sans grâce réduisent à cette ironie froide, concentrée, atroce, grinçante et grimaçante sous son masque d’impassibilité ; mais, je le répète, quelque chose de bien français, où se manifeste le pur et souverainement libre mouvement de l’esprit d’une race essentiellement artiste, guerrière, chevaleresque et révolutionnaire ; race qui a produit tout ensemble la société la plus polie et qui faisait de la vie sociale un art véritable aux nuances les plus exquises et les plus variées, et le peuple le plus révolutionnaire, et qui même semble le seul à avoir la vocation de la Révolution ; et où l’on trouve réunis, par un miracle prodigieux, le plus grand comique, Molière, et le plus grand tragique, Corneille ; le plus grand penseur chrétien, Pascal, et le plus grand seigneur de l’esprit, Voltaire ; le plus grand prosateur, le gaulois et aristophanesque Rabelais, et le plus pur des poètes, Lamartine ; le plus grand polémiste catholique, Louis Veuillot, et le plus grand polémiste révolutionnaire, Proudhon. Race unique, faite des contrastes les plus aigus, qui semble la plus prosaïque et la plus bourgeoise du monde, et qui cependant a vécu la plus prodigieuse épopée militaire qu’on ait vue, et dont Renan a pu dire qu’elle ne savait pas faire la toile de ménage et ne réussissait que la dentelle ; peuple étrange où
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