cette résonance chrétienne, ce ton religieux, qui ont mis entre la démocratie moderne et lui ce gouffre d’incompréhension et de mésintelligence ? Car, si vraiment le ton moral chrétien, c’est : l’estime très haute faite de la chasteté, l’idée du péché et le pessimisme, comment méconnaître le christianisme fondamental de Proudhon, lui dont la théorie du mariage n’est qu’une transposition de la mystique chrétienne, la théorie du progrès une transposition de la doctrine théologique de la grâce, et, partant, la négation résolue de l’optimisme moderne ? Chrétien, oui, il l’est, et profondément, et non pas à la façon molle et lâche d’un Chateaubriand, d’un Lamennais, d’un moderniste contemporain, mais à la façon de Pascal et de Bossuet, de ce christianisme rigide, austère, mystique, non par déficience de la raison, mais par exigence rationnelle et appétit insatiable de rigueur, de précision et de certitude : voyez comme il parle de ce christianisme du xviie siècle : Sous la plume des Bossuet, des Fénelon, des Fleury, des Amauld, des Pascal, des Bourdaloue, des dom Calmet, le christianisme acquit une rationalité, une splendeur, qu’il n’avait jamais eues, même au temps de saint Augustin et de saint Paul. Philosophie, sciences exactes et naturelles, prose, éloquence servirent à cette transfiguration chrétienne. Alors il y eut orgueil et joie à professer l’Évangile ; le croyant put se dire qu’il avait pour lui la raison divine et la raison humaine. Le christianisme fut plus qu’une foi : ce fut le système du monde, de l’homme et de Dieu » (Majorats, p. 182). Et comparez-le à Renan, comparez sa Vie de Jésus à celle de Renan. Le christianisme de Renan, ou plutôt sa religiosité, c’est le christianisme à la Rousseau, la religiosité à la moderne, molle, vague et panthéiste ; c’est l’idéalisme d’allure allemande, le christianisme romantique moderne, incon-
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