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autrefois pour la conquête d’un même idéal de beauté. Tous concouraient à l’exprimer dans un monument religieux ou autre, dans un palais, dans un temple. Au contraire, à partir de la Renaissance, chaque art poursuit isolément un certain genre de beauté. Comme Th. Ribot, Sorel estime que l’art moderne diffère des arts primitifs par le « passage du social à l’individuel ». Mais, pour apprécier cet art individualisé, une connaissance plus grande de la technique s’impose ; l’esthétique devient une science de raisonnement et s’intellectuatise. Elle découvre dans la matière le rôle de l’esprit. L’effort de l’outil est une preuve de l’intelligence ; la principale valeur sociale de l’art, selon Georges Sorel, c'est qu’il est un ennoblissement du travail manuel.

Ce qu’on aperçoit, en définitive, de l’esthétique de Georges Sorel révèle une tension constante de la volonté. Elle est moins une doctrine applicable à tous les hommes et dans tous les cas que la morale d’un combattant aux prises avec des adversaires et qui se maintient parmi des dangers. Lui-même en saisit bien la nature quand il la désignera un peu plus tard du nom de pessimisme[1], mais c’est un pessimisme raisonné qui se défend de rien devoir à l’instinct.

Les trois principaux aspects du pessimisme de Sorel sont les suivants : il est d’abord une sympathie pour la souffrance humaine qui montre tout ce qu’il y a de chrétien dans sa sensibilité ; il est ensuite la conviction qu’on ne peut changer un ensemble de maux humains, donc sociaux, que par une destruction totale et non par des améliorations successives ; il est enfin l’idée obstinée que l’union crée une force aux effets incalcu-

  1. Georges Sorel. Réflexions sur la violence, Paris, Édition de « Pages libres » 1908. pp. xv, 53.