Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/48

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Nul doute qu’il fût sincère, entièrement sincère, et pourtant il a fait « cracher sa plume, comme les autres, aux marges des ministères » ; mais il ne pouvait juger un fait, ce fait lui fût-il particulier, sans le considérer de haut, sans en distraire les détails personnels pour le passer au crible de sa critique indépendante et pour en dégager, fût-ce contre lui-même, une vision supérieure des choses ou quelque conclusion très nettement morale. On l’accusait alors de malice ou de bravade, comme s’il affectait ces beaux dehors de langage pour masquer une manière d’agir peu conforme à ses paroles. Injuste chicane. Il obéissait à sa faculté de dédoublement. L’homme intellectuel, qui était en lui, lui faisait oublier l’autre homme, et c’était cet homme intellectuel, le plus vrai, le meilleur des deux, qui venait de se prononcer avec énergie contre l’esclavage et de pousser la main à signer courageusement l’adhésion à la loi d’abolition. L’autre homme en souffrit dans son existence matérielle. Privé des subsides qu’il recevait auparavant de sa famille, il vécut très retiré, fréquentant quelques amis, assistant en silence à la ruine de la République, à l’inutilité de ses rêves et de son sacrifice.

Pendant ce temps de Flotte était soumis aux destins les plus divers. D’abord, avant même les journées de Juin, lors de l’affaire du Quinze-Mai, il s’était déjà compromis près du gouvernement, tout en essayant de le soutenir. Sa conduite de sauveteur n’avait pas été comprise ; il n’en avait pas moins recommencé l’aventure sur les barricades et bravé la mitraille pour prêcher au malentendu, pour adjurer les uns et les autres de cesser le massacre fratricide. Il était de ceux qui, pour combattre l’incendie, savent se jeter dans le feu. Finalement des gardes nationaux le trouvèrent dans la taverne de la rue Feydeau parmi les émeutiers. Traité comme tel, il fit partie des lamentables convois dirigés sur Belle-Isle. Peu satisfait du régime des pontons, il se sauva, fut repris, condamné pour