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prochaine fête de Noël, en supposant que je dusse y être, je n’avais rien à mettre sous la dent.

Le pauvre Jasmin était plus bas que jamais. Par un suprême effort, il se traîna jusqu’à la porte de ma tente, où il se coucha totalement épuisé ; c’était manque de grain. Ne pouvant lui donner aucune nourriture, je pensai qu’il était charitable d’abréger ses souffrances, et, prenant mon pistolet, je lui mis une balle dans la tête.

Le seul âne de selle qui me restât était un demi-sang, qui montrait également des symptômes d’inanition.

J’avais toujours Dinah ; extrêmement apprivoisée, elle couchait au pied de mon lit ; si on l’attachait ailleurs, elle empêchait tout le camp de dormir par ses bêlements continuels, jusqu’à ce qu’on lui permit de revenir auprès de son maître.

Mes gens vivaient de racines et de champignons ; peut-être avaient-ils trouvé un peu de grain. Quant à moi, je n’eus à manger que le soir du troisième jour.

Le 31 janvier, nous quittâmes enfin cette place inhospitalière et nous descendîmes dans une étroite vallée où serpentait un cours d’eau ; sur les deux bords, il y avait des champs nombreux, entourés de palissades.

Les villages étaient perchés parmi les rocs, et les habitants, enfermés dans leurs enceintes, refusèrent d’entrer en rapport avec nous : ils avaient trop souffert de la traite pour ne pas se défier des caravanes.

Aucun lien, aucune amitié ne réunit ces communes. Chaque hameau — un groupe de cinq ou six familles — se proclame indépendant. Il en résulte que, trop faibles pour se défendre, les habitants de ces bourgades sont chassés par les tribus voisines, qui les vendent aux Arabes.

En sortant de cette vallée, nous entrâmes dans une forêt dépourvue de sous-bois et qui couvrait le flanc d’une colline. Tout à coup je fus lâché par mes porteurs, qui se sauvèrent sans plus de cérémonie ; puis tous les autres jetèrent leurs fusils, leurs ballots, et allèrent se cacher derrière les arbres les plus voisins.

« Qu’y a-t-il ? m’écriai-je de ma chaise, où j’étais barricadé par la perche et dans l’impossibilité de me mouvoir. Qu’y a-t-il ? Bête féroce ou brigands ? Mon fusil ! mon fusil ! »

La seule réponse que je reçus me fut donnée par l’auteur même de la panique : un buffle solitaire, qui, noir et féroce, ar-