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Quand les trois baladins secouaient leurs gourdes tous ensemble, on était assourdi, car leurs instruments ont bien autrement de puissance que les claquettes de nos chanteurs de noëls.

Ils me régalèrent de break-dowms et de walk-rounds d’un style qui pourrait bien être l’original de celui de notre musique de taverne. Les chants — solos avec chœurs — avaient les yah ! yah ! qui précisément accompagnent chez nous ce genre de musique, et étaient poussés de la même manière que les émet le nègre des théâtres de nos halles.

Je fis en sorte de partir enfin le 13 mars avec Bombay et trente-sept de mes hommes, laissant le reste de la bande, ainsi que la cargaison, sous la surveillance de Bilâl. Mon intention était d’embarquer de bonne heure ; mais ayant reçu les perles destinées à leur procurer les vivres de cinq jours, mes compagnons s’enivrèrent dès le matin, et ce ne fut que dans l’après-midi que je pus les réunir et les rappeler à eux-mêmes.

Je choisis la Betsy pour y planter mon pavillon, et j’étendis au-dessus de l’espèce de poupe qu’elle se vantait d’avoir une couverture de grosse toile — un tendelet de charrette — espérant que cela pourrait m’abriter ; mais cette couverture n’étant rien moins qu’imperméable, je fus très heureux d’avoir pris ma tente.

Une jolie brise nous permit de déployer notre voile. L’établissement de Djoumah Méricani[1], dans l’Oukarannga, fut passé, et nous allâmes camper à la pointe de Mfonndo.

Le lendemain, après avoir rangé une scénerie charmante, — de petites falaises, des pentes boisées qui me rappelaient beaucoup le Mont Edgcumbe, — il fallut, à peu de distance du point de départ, échouer la Betsy, afin de boucher une voie d’eau considérable qu’elle avait à l’arrière et qui endommageait la cargaison. L’avarie fut réparée, la route fut reprise, et la couchée eut lieu près d’Ougounyia.


Pour croire à toute la beauté des rives du Tanganyika, il faut les avoir vues. Le vert éclatant et varié du feuillage, le rouge vif du grès des falaises, le bleu des eaux, forment un ensemble de couleurs qui, à la description, paraît criard, mais qui dans la réalité est d’une harmonie suprême. Des oiseaux d’espèces diverses rasent la surface du lac ; mouettes blanches et

  1. Un métis arabe avec qui nous ferons connaissance beaucoup plus loin.