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grises à bec rouge, anhinngas au long cou, au manteau noir, alcyons gris et blancs, balbusards bruns à tête blanche, étaient les plus nombreux ; et de temps à autre le ronflement d’un hippopotame, une longue échine de crocodile, ressemblant à la crête d’un roc à demi découvert par le reflux, ou le saut d’un poisson, annonçaient que les eaux, de même que l’air, étaient abondamment peuplées.

Pendant la nuit, je fus pris d’un nouvel accès de fièvre. Je voulus néanmoins partir ; mais ma tête et la boussole tournaient à l’inverse l’une de l’autre ; il fallut m’arrêter un peu au sud du Malagaradzi, à Kabonngo, où je restai deux jours avant d’être capable de faire un relèvement.

J’éprouvai pendant cette fièvre de très curieuses sensations. Une nuit, il me sembla que je formais un groupe d’au moins vingt personnes, qui toutes étaient malades, et ressentaient chacune la même douleur, le même effet que les autres.

La nuit suivante je n’étais plus que deux ; mais la perception était beaucoup plus distincte ; j’avais de ma dualité un sentiment très net. Je m’imaginais qu’un second moi-même était couché de l’autre côté du bateau, et j’éprouvais toutes les secousses du frisson, tous les élancements du mal de tête qu’il subissait. J’étais persuadé que la théière, pleine de thé froid, que je voyais à côté de lui, était à son intention ; et lorsqu’en m’agitant je roulais de ce côté-là, je m’emparais de la théière, je buvais comme une baleine, et je riais tout bas à l’idée de cet autre qui mourait de soif et dont j’avalais le breuvage.

Toutefois, si incohérentes que fussent mes idées quand j’étais seul, dès que je voyais approcher mon domestique, je m’efforçais de rappeler mes esprits, et malgré le vertige qui me troublait le cerveau, je parvenais à donner un peu de sens à mes paroles.

Dès que j’allai mieux nous repartîmes. Ce jour-là, nous devions passer la nuit au cap Kéboué. Mais les gens de mes bateaux étaient loin d’être braves ; un orage, accompagné d’une petite bourrasque, les effraya tellement qu’ils refusèrent de bouger tant que durerait cette menue tempête.

Une heure de rame nous fit ensuite gagner une entrée profonde appelée Matchatchézi, où mes pilotes, montrant le bout de l’oreille, m’obligèrent à camper, ne voulant pas atteindre le Kabogo à la chute du jour.