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la côte, et nous longeâmes ceux de l’île de Polonngo, masses énormes, qui çà et là s’élevaient isolées, ou composaient les entassements les plus fantastiques : blocs surplombants, pierres ballantes, obélisques, forteresses, pyramides, toutes les formes imaginables. De toutes les fentes, de tous les creux, de tous les points où un peu de terre avait pu s’arrêter, surgissaient de grands arbres d’où retombaient des lianes de cinquante à soixante pieds de longueur, laissant apercevoir de profondes crevasses à travers leur réseau.

Le soleil des tropiques baignait d’une lumière incomparable cet amas saisissant et inondait de ses rayons les eaux gonflées du lac, scène d’une magie à faire douter qu’elle fût réelle : un décor fantastique, disposé pour un changement à vue ; et l’on s’attendait à voir ces roches s’ouvrir pour laisser apparaître les sylphes ou les diablotins d’une féerie.

J’étais immobile, contemplant ce merveilleux tableau d’un calme absolu ; aucun signe de vie.

Tout à coup les lianes s’agitent, passe un éclair brun, puis un autre, puis un autre : toute une bande de singes se balançant ou bondissant, volant de cime en cime, puis s’arrêtant suspendus par une main, et, dans un babil animé, exprimant la surprise que leur cause l’étrange spectacle de nos bateaux.

Un cri, et toute la bande disparut plus rapidement qu’elle n’était arrivée, laissant l’écho nous apporter les roulements d’un bruit égal à celui du tonnerre.

Le moindre tressaillement du sol eût fait tomber de leur site élevé des masses rocheuses, pesant des milliers de tonnes, et qui auraient tout détruit devant elles.

À la place où le camp fut établi se trouvaient de grands cotonniers qui paraissaient croître à l’état sauvage ; mais il est possible qu’il y ait eu là un défrichement, où le coton avait été cultivé. La falaise, d’un calcaire très blanc, présentait des fentes verticales, dont les bords semblaient avoir été taillés avec un instrument tranchant, tant les arêtes en étaient vives.

Il m’était extrêmement difficile de dresser ma carte avec exactitude, mes guides changeant les noms de la manière la plus embarrassante, appelant un cap une île, et réciproquement ; ce qui me jetait dans une perplexité d’autant plus grande, qu’après tant de fièvre et de quinine, mes idées n’étaient pas très nettes.

Le lendemain, 16 avril, nous arrivâmes au terrain contesté