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sont lépreux. La plupart en ont perdu un pied ou une main, presque tous sont borgnes ou aveugles ; il est extrêmement rare de rencontrer parmi eux un individu qui ne soit pas atteint d’ophthalmie à un degré quelconque.

Pas une des tribus voisines ne s’entre-marie avec ces gens-là. Ceux que les affaires obligent à traverser leur pays le font en courant ; et il est absolument défendu à ces malheureux d’émigrer.

Écouter des histoires ou prendre des informations ne fut pas le seul emploi de mes jours d’attente. Je mis mon journal au courant, complétai mes cartes, réparai leur portefeuille ; je me fis une paire de pantoufles, me fabriquai une double tente avec de l’étoffe d’herbe, que je rendis imperméable en la faisant tremper dans de l’huile de palme ; et je confectionnai deux drapeaux pour notre retour à la côte ; ceux qui nous avaient amenés du Zanguebar étaient déchirés et déteints au point d’être méconnaissables. Enfin, chose importante, je raccommodai mes bas ; et comme toutes mes aiguilles à ravauder m’avaient été prises — leurs grands yeux les faisant trouver si commodes — je fus obligé de me servir d’une aiguille à voile, qui rendit la besogne encore plus fastidieuse qu’à l’ordinaire.

De temps à autre, nous animions la soirée par un tir aux gobe-mouches, et aux engoulevents qui, après les journées brûlantes, fondaient autour de nous en nombre infini. L’indécision et la rapidité de leur vol faisaient de ce tir un excellent exercice.

Puis il y avait les sorties. J’allais tous les matins presser la régente d’envoyer un message à Kassonngo, afin de hâter son retour. De là, je me rendais chez Alvez, pour le supplier d’être prêt à partir dès que nous aurions vu le chef.

Je recevais des visites. Les femmes de Kassonngo venaient souvent ; elles arrivaient par groupes, tantôt les unes, tantôt les autres ; comme elles se familiarisaient de plus en plus, leur conversation était loin d’être édifiante. Quelquefois elles se mettaient à danser ; et l’obscénité de leurs gestes, la manière extravagante dont elles lançaient la jambe dépassaient tout ce que j’ai jamais vu.

Quelquefois aussi un esclave de Djoumah nous divertissait par ses tours d’adresse. Avec deux bâtonnets d’un pied de long, reliés par une cordelette d’une certaine longueur, il imprimait à un morceau de bois, taillé en forme de sablier, un mouvement de rotation rapide, le faisait courir en avant, en arrière, le lan-