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compagné d’une suite nombreuse où figuraient une foule de ses épouses. La plupart de ces dames avaient avec elles des enfants du premier âge ; et la layette des bébés de l’Ouroua étant des plus restreintes, certaines parties de la scène ne pourraient être décrites.

Je fus surpris de voir parmi les compagnons du chef un aussi grand nombre de mutilés, plus encore d’apprendre que beaucoup de ces mutilations avaient été faites par simple caprice du maître, ou pour témoigner de son pouvoir. Le fidèle Achate du potentat avait perdu les mains, le nez, les oreilles et les lèvres, par suite des accès de colère de son noble ami. Malgré ces cruautés, le malheureux semblait adorer jusqu’à la trace des pas de son bourreau ; et cette adoration se manifestait également chez d’autres, qui n’avaient pas moins à se plaindre de l’objet de leur culte.

Ainsi qu’on devait s’y attendre, Kassonngo était bouffi d’orgueil, et se tenait pour le plus grand chef qu’il y eût au monde. Le seul qui, dans son esprit, pût lui être comparé, était le Mata Yafa, comme lui originaire de l’Ouroua, et appartenant à la même famille.

Il me dit gracieusement que sans le Tanganyika, dont les eaux l’arrêteraient dans sa marche, il se rendrait en Angleterre. J’ai dû blesser sa vanité en lui répondant que le Tanganyika n’était rien, comparativement aux mers qui s’étendaient entre l’Afrique et mon pays. Mais il ne sembla pas avoir entendu l’observation, et ajouta qu’il remettait sa visite à une autre époque. Pour l’instant, il se bornait à me recommander de dire à mon chef de lui payer tribut, et de lui envoyer des fusils, des canons, dont il avait entendu parler aux Portugais, des bateaux pour naviguer sur ses rivières, et des gens qui apprendraient à son peuple la manière de s’en servir.

Je lui fis observer que les nations qui savaient faire toutes les choses qu’il désirait n’étaient pas de celles qui payaient tribut, et que mon chef était trop puissant pour que lui, Kassonngo, pût se faire une idée de son pouvoir. « Combien de guerriers, ajoutai-je, pouvez-vous mettre en campagne ? Combien d’hommes le plus grand de vos canots peut-il contenir ? » Ses guerriers, répondit-il, étaient trop nombreux pour qu’il pût en faire le compte ; mais il savait que dans un bon canot, on pouvait mettre cinq ou six hommes. Je repris en riant que je connaissais la force de son