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Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/110

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plissait le jardin, de se présenter sur le balcon, en face de la grande allée. Elle s’écria, en voyant toutes ces têtes pressées, les yeux levés vers elle : « Grand Dieu, que de monde ! — Madame, lui dit le vieux duc de Brissac, gouverneur de Paris, sans que Monseigneur le dauphin puisse s’en offenser, ce sont autant d’amoureux[1]. » M. le dauphin ne s’offensait ni des acclamations, ni des hommages dont madame la dauphine était l’objet. Une indifférence affligeante, une froideur qui dégénérait souvent en brusquerie, étaient les seuls sentimens que lui montrait alors le jeune prince. Tant de charmes n’avaient même rien obtenu sur ses sens ; il venait, par devoir, se placer dans le lit de la dauphine, et s’endormait souvent sans lui avoir adressé la parole. Cet éloignement qui dura fort long-temps, était, dit-on, l’ouvrage de M. le duc de La Vauguyon. La dauphine n’avait véritablement de sincères amis à la cour que le duc de Choiseul et son parti. Croira-t-on que les projets formés contre Marie-Antoinette allaient jusqu’à voir la possibilité d’un divorce ? Quelques gens,

  1. Jean-Paul Timoléon de Cossé, duc de Brissac, et maréchal de France, celui-là même dont nous avons cité en note, pag. 30 de ce volume, une réponse pleine de noblesse. Il offrait à la cour de Louis XV et de Louis XVI un modèle des mœurs, de la galanterie et du courage des anciens chevaliers. Le comte de Charolais le trouvant un jour chez sa maîtresse, lui dit brusquement : Sortez, Monsieur. — Monseigneur, répondit vivement le duc de Brissac, vos ancêtres auraient dit : Sortons.
    (Note de l’édit.)