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Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/17

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de ses visions, et l’écoutait pourtant avec une sorte d’intérêt. « Dites-moi, lui demanda-t-elle un jour, si mon Antoinette doit être heureuse ? » Gassner pâlit et garda le silence. Pressé de nouveau par l’impératrice, et cherchant alors à donner une expression générale à l’idée dont il semblait fortement occupé : Madame, répondit-il, il est des croix pour toutes les épaules[1].

Ces mots suffisaient pour frapper l’imagination des Allemands : des traditions conservées dans le pays, et dont on occupe l’enfance ; un esprit tourné vers la recherche et la croyance de ce qui est vague et mystérieux ; une disposition naturelle à la mélancolie, semblent les préparer à recevoir plus vivement ces impressions de crainte et ces avertissemens secrets. Marie-Antoinette, on le verra dans ces Mémoires, était loin de repousser et de vaincre les mouvemens d’une terreur involontaire. Goëthe, son compatriote, le célèbre auteur de Werther, s’abandonnait, plus encore que tout autre, à l’influence de ces pressentimens dont la raison a souvent peine à triompher. L’arrivée de la jeune princesse en France avait été pour lui l’occasion d’un sinistre présage.

Goëthe, jeune alors, achevait ses études à Strasbourg. On avait élevé, dans une île, au milieu du Rhin, un pavillon destiné à recevoir Marie-Antoinette et sa suite. « J’y fus admis, dit Goëthe dans ses Mémoires. En y entrant, mes yeux furent frappés du sujet représenté sur la tapisserie qui servait de tenture au pavillon principal. On y voyait Jason, Créüse et Médée, c’est-à-

  1. Jean-Joseph Gassner, né à Bratz, sur les frontières du Tyrol, était un thaumaturge célèbre, qui croyait de bonne foi guérir une foule de maladies par la seule imposition des mains.