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Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/19

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Puisque j’ai dû parler de ce cruel événement, qu’on me permette de raconter rapidement une des scènes qu’il présenta. Au milieu de cette foule agitée, pressée en sens contraire, foulée sous les pieds des chevaux, précipitée dans les fossés qui bordaient la rue Royale et la place, se trouvaient un jeune homme et sa maîtresse. Elle était belle ; ils s’aimaient depuis plusieurs années : des raisons de fortune avaient retardé leur mariage ; le lendemain ils devaient être unis. Protégeant son amie, marchant devant elle, la couvrant de son corps, long-temps le jeune homme soutint ses pas et son courage. Mais, de moment en moment, le tumulte, les cris, l’effroi, les périls allaient croissant. Je succombe, dit-elle, mes forces m’abandonnent, je ne saurais avancer plus loin. Il reste encore un moyen, s’écrie l’amant au désespoir : placez-vous sur mes épaules. Il sent qu’on a suivi son conseil, et le désir de sauver ce qu’il aime, double son ardeur et ses forces. Il résiste aux chocs les plus violens. Ses bras roidis devant sa poitrine lui frayent péniblement un passage ; il lutte, il se dégage enfin. Arrivé à l’une des extrémités de la place, après avoir déposé sur un banc son précieux fardeau, haletant, épuisé, mourant de fatigue, mais ivre de joie, il se retourne ce n’était pas elle ! une autre plus agile avait profité du conseil : son amie n’était plus !

La sensibilité, la bienfaisance de Marie-Antoinette adoucirent les malheurs qu’elle ne pouvait réparer. Madame Campan se trouvait placée dès-lors assez près d’elle pour apprécier tous les mouvemens de son cœur généreux. Les noces du dauphin avaient été célébrées au mois de mai 1770. Aucun des princes ses frères n’étant encore marié, la dauphine n’eut d’abord de société intime que celle de