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amis qui avait leur secret (le comte Demoustier), vint me raconter que madame de Polignac allait quitter Versailles subitement ; qu’elle ne ferait d’adieux à la reine que par écrit ; que la comtesse Diane et M. de Vaudreuil lui avaient dicté sa lettre, et que toute cette affaire était combinée dans l’intention d’exciter l’attachement jusqu’alors stérile de Marie-Antoinette. Le lendemain, quand je montai au château, je trouvai la reine tenant une lettre qu’elle lisait avec attendrissement ; c’était la lettre de la comtesse Jules ; la reine me la montra. La comtesse y témoignait sa douleur de s’éloigner d’une princesse qui l’avait comblée de ses bontés. La médiocrité de sa fortune lui en imposait la loi ; mais bien plus encore la crainte que l’amitié de la reine, après lui avoir attiré de dangereux ennemis, ne la laissât livrée à leur haine et au regret d’avoir perdu l’auguste bienveillance dont elle était l’objet.

Cette mesure eut tout l’effet qu’on en avait attendu. Une reine jeune et vive ne supporte pas long-temps l’idée d’une contradiction. Elle s’occupa plus que jamais de fixer madame la comtesse Jules près d’elle, en lui faisant un sort qui pût la mettre à l’abri de toute inquiétude. Son caractère lui convenait ; elle n’avait que de l’esprit naturel, point de prétentions, point de savoir affecté. Sa taille était moyenne, son teint d’une grande fraîcheur, ses yeux et ses cheveux très-bruns, ses dents superbes, son sourire enchanteur, toute sa per-