Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/117

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La reine était aimable, sensible, belle et bonne. Les calomnies qui ont noirci cette princesse sont le fruit de l’esprit de mécontentement qui régnait alors. Mais elle aimait le plaisir, et en trouvait trop à faire admirer sa beauté. Les amusemens, les fêtes endormirent cette cour jusqu’au moment de l’affreux réveil que leur préparaient des opinions introduites en France depuis cinquante ans, et qui déjà avaient pris une force imposante.

Trois ministres, qui avaient jugé le danger de l’effervescence des idées, voulurent successivement travailler à la réforme des abus, remonter en un mot la trop vieille machine de la puissance absolue

    de Gerville qui, après l’avoir relue sans y apercevoir de faute, répondit qu’il ne voyait point ce qu’il y avait à changer. « — Ne me faites pas parler de mon bonheur, Monsieur ; je ne puis mentir de cette force-là : comment voulez-vous que je sois heureux, M. de Gerville, quand personne ne l’est en France ? Non, Monsieur, les Français ne sont pas heureux, je ne le vois que trop… ; ils le seront un jour, je l’espère, je le désire ardemment… ; alors je le serai aussi et je pourrai parler de mon bonheur. »

    » Ces paroles, que le roi prononça avec une émotion extrême et les yeux gros de larmes, firent sur nous la plus vive impression, et furent suivies d’un silence général d’attendrissement, qui dura deux ou trois minutes. Sa Majesté, craignant sans doute que ce mouvement de sensibilité qu’elle n’avait pas été maîtresse de réprimer, ne fît suspecter son attachement à la constitution, saisit très-adroitement, quelques momens après, l’occasion de manifester au moins sa fidélité scrupuleuse au serment qu’elle avait fait de la maintenir, en adoptant le parti qui y était le plus conforme, dans une affaire au rapport de M. Cahier de Gerville